En dix jours à peine, le compositeur et pianiste belge Jean-Luc Fafchamps a vu plusieurs de ses œuvres contemporaines créées à l’étranger. Dont la «Lettre Soufie Rà», au Bashmet Festival de Iaroslav, qui s’est penché pour l’occasion sur six siècles de musique belge. Reportage à travers la Russie… belgophile.
[…]
«Mais les Russes voulaient aussi un compositeur vivant», confie Patrick de Clerck, le partenaire flamand (et russophone) de cet étonnant éclairage belge.

Leur goût du conceptualisme ne pouvait que les pousser à accueillir «Djann-Louk Fafchamm», le compositeur complexe, mais non complexé, dont les œuvres contemporaines sont actuellement le plus jouées à l’étranger. Membre fondateur de l’ensemble Ictus (il a beaucoup tourné avec Rosas, la compagnie de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker), professeur d’analyse musicale au Conservatoire de Mons, Fafchamps, 58 ans, est davantage connu du grand public depuis que son écriture a injecté «un peu de douceur et de bonheur», selon lui, au terrible film «Insyriated» de son ami Philippe Van Leeuw et lui valut, parmi d’autres Magritte 2018, celui de la meilleure musique originale.

Surtout, cela fait quinze ans que ce géant à la voix grave compose une série de pièces intitulées «Lettres Soufies», qui portent chacune un numéro et un sigle de l’alphabet arabe. Fin avril, deux d’entre elles étaient d’ailleurs créées coup sur coup: «Fa», la 21e, à Mulhouse et «Ain», la 22e, à Anvers. Et voilà que la 17e, appelée «Rà» et conçue en 2010 déjà (une commande non honorée de l’Orchestre national), vient de prendre vie à Iaroslavl, grâce aux 90 musiciens de l’Orchestre symphonique moscovite Novaya Rossiya.

Drôle et mystérieux, Fafchamps en a donné les clés: «On débute ce voyage intérieur, sombre et chaotique, comme noyé au fond de l’eau. Puis une mélodie nous aide à remonter à la surface. C’est agréable… et parfois pas. Et peut-être y décèlerez-vous un illustre passage européen transformé en accord spectral.» Parmi les quelque 500 auditeurs initiaux de l’œuvre, mis à part des profondeurs abyssales traversées par des pieuvres tentaculaires et d’horribles léviathans, personne ne semble avoir reconnu quoi que ce soit. Seul le Pr. Delaere a repéré l’intrus: «Oui, il y a bien une citation de ‘L’Or du Rhin’, de Wagner, modifiée en rétrogradation…»

Oups! Pour le commun des mortels, il faudra se contenter d’une écoute dilettante de ces fulgurances aquatiques, et des commentaires bienveillants du maître sur cette première exécution publique: «Ça fait bizarre. Ils l’ont très bien interprété, même s’ils n’ont pas joué tous les détails. Mais c’est normal: il y en a tellement!» Sans regret, donc. D’autant que les spectateurs acclament, et que le génial Iouri Bashmet, plus que satisfait, a promis une large diffusion de ces lettres à travers l’interminable Russie belgophile…

Valérie Colin, mardi 15 mai 2018

This website uses cookies. By continuing to use this site, you accept our use of cookies. 

Pin It on Pinterest

Share This